Le Loch Craignish et l’expérience Seawilding

Le loch Craignish est un loch écossais ouvert sur la mer. Comme il est, partiellement, plus plat que la plupart des autres lochs, il possédait des herbiers de zostères de taille significative et a longtemps été une zone de pêche d’huîtres plates. Sans doute à cause des (mauvaises) méthodes de pêche employées, les herbiers ont presque disparu et les huîtres sont devenues rares. D’où le projet Seawilding, qui cherche à rétablir l’ancien équilibre. Cette expérience peut nous servir pour l’étang de Berre.

Je suis donc allé les voir cet été 2023, en vélo pour limiter mon impact CO2, mais aussi parce que j’aime bien ça… et que je milite pour ce mode de transport, localement ou pour les voyages.

Le loch Craignish

Ce loch est une vallée envahie par la mer. Il est situé sur la côte ouest, un peu au sud d’Oban.

Il est globalement orienté nord-est (côté terre) sud-ouest (côté mer), et fait, en gros, 10 km de long sur 2,5 km de large. Sa surface fait donc environ 25 km2, soit 1/6 de la surface de notre étang de Berre.

Contrairement à beaucoup d’autres lochs, le loch Craignish n’est pas très profond, 30 m max, avec de grandes surfaces se situant à des profondeurs inférieures à 10m voire 5m, comme on le devine sur l’aperçu de carte marine ci-dessous. Il y a un marnage moyen de 3m (le même que celui du Strangford Lough, assez proche géographiquement).

Les zones peu profondes se trouvent en rive nord-ouest, la seule qui soit habitée. Une surface assez grande (80 ha ?) a dû être colonisée par les zostères marines, et les plus vieux riverains se souviennent d’une bien meilleure situation que la situation actuelle, car il n’en possède plus que 5 ha.

Dès le début du XIXème siècle, quand les transports se sont beaucoup développés (train, bateau à vapeur…) l’Écosse a connu un boom de l’exploitation de l’huître plate (30 millions d’huîtres ont parfois été exportées annuellement). Dans le loch Craignish comme ailleurs en Écosse, la ressource a ainsi été pillée et les tonnages ont fini par s’effondrer (début XXème siècle semble-t-il). L’huître est devenu très rare dans le loch (il en resterait une centaine) et l’arrêt de la pêche n’a pas suffi à la faire revenir. Il reste quelques pêcheurs, spécialisés dans la langoustine et les coquilles Saint-Jacques.

Le loch Craignish possède, comme beaucoup d’autres en Écosse, des fermes à saumons. Heureusement il n’y en a que deux, de petites taille semble -t-il. Ces fermes ont généralement un impact assez lourd sur la qualité de l’eau.

Le projet Seawilding

Au début de ce projet, en 2019, il y a le groupe informel de bénévoles CROMACH (Craignish Restoration of Marine and Coastal Habitat). Ce groupe a créé SEAWILDING, qui formellement est une « charity » (une association de bienfaisance), pour porter deux projets de restauration écologique : un sur les huître plates et un sur les zostères marines.

Dans les deux cas,

  • le premier pas a été de décrocher un financement sur la base d’un projet ambitieux,
  • le second de recruter, sur une base de compétences mais aussi sur une base locale (en gros ils ont pu offrir des postes à des gens déjà investis à titre bénévole dans le projet)
  • le troisième d’effectuer concrètement le travail de recherche rigoureux pour lequel ils s’étaient engagés

FinancementDébut
Huîtres platesNational Lottery2020
Zostères marinesNatureScot2021

On a déjà parlé de leur projet concernant les huîtres plates. Grossièrement, le projet a consisté à acheter 1 million de naissains à une écloserie anglaise, et à les faire grossir en milieu protégé (dans des cages en plastiques en pleine eau) jusqu’à ce qu’elles soient assez grosses (pour ne plus tenter ou craindre les prédateurs) et de les disperser dans le loch, ce qui prend quelques années. Ils en sont à cette étape et le projet suit son cours. J’ai pu voir les cages de loin.

Le but est de recréer des récifs d’huîtres qui se renouvelleront, avant éventuellement de les exploiter durablement.

Focus sur le projet des zostères

Ce projet a commencé en 2021, c’est NatureScot qui finance, sur le long terme (plusieurs années). Qu’une agence publique finance des projets de restauration écologiques sur un appel à projets ouvert et retienne un projet local (« community led ») me semble inimaginable en France, mais je manque peut-être d’imagination ou n’ai pas bien cherché… En tous cas, l’accord semble gagnant-gagnant et dans la page du site de cette agence qui concerne Seawilding, on peut voir l’infographie suivante :

Concrètement ils ont essayé une dizaine de méthodes de transplantation des zostères. Ils ont commencé par les méthodes par graines puis ont élargi aux méthodes par rhizomes. Je n’ai pas encore épluché leurs rapports, mais en off ils reconnaissent que les méthodes par graines sont très « labour intensive » pour un résultat pas forcément transcendant. Et que les méthodes par rhizomes sont plus beaucoup plus simples. Cela correspond à notre expérience pour ZoRRO (pour les graines, nous avons pour l’instant un résultat totalement nul, alors que nous savons déjà que ça demande beaucoup de travail, pour les rhizomes nous avons un site qui a très bien marché).

Les résultats (nb de plants) de Seawilding pour les 11 méthodes de transplantation (de zostères marines) qu’ils ont testées

Dans leur cas, et pour les méthodes par rhizomes, ils ont été surpris d’apprendre que nous ne travaillions qu’à partir de rhizomes-épaves. Eux sont partis de l’exemple suédois, dont j’ai déjà parlé, et dans lequel on n’hésite pas à arracher des rhizomes. Ils sont d’ailleurs en relation avec l’université suédoise et globalement avec un bon nombre d’autres organismes universitaires à travers le monde, en Colombie Britannique (côte pacifique du Canada) notamment. Ils travaillent de manière très rigoureuse et se sont manifestement engagés à émettre des rapports annuels qui conditionnent sans doute la pérennité du financement.

Le rapport d’activité, dont ils m’ont dit qu’il était en ligne sur leur site, mais que je n’ai pas trouvé

Caractéristique étonnante (et peut-être unique) du projet Seawilding : ils mettent la plupart de leurs résultats en ligne et multiplient les tutoriels (vive l’Open Source !). J’ignore si ça fait partie du deal avec NatureScot ou si ça vient de CROMASH, mais c’est génial et personnellement je n’attendais pas ça d’une île d’où nous est venu l’ultralibéralisme (mais l’Écosse n’est peut-être pas l’Angleterre)…

Les deux financements obtenus ont permis de créer 7 emplois. Outre le travail sur les huîtres et les zostères, Seawilding fait désormais de la formation (le carré violet en bas à droite d’une des images précédentes) pour des projets similaires qui semblent se multiplier en Écosse. La force et la souplesse de l’Open Source…

Précisément il reste 5,5 ha de zostères marines dans le loch, en plusieurs herbiers dont les deux plus grands font 1,5 ha chacun. Ils pensent pouvoir atteindre 80 ha. Pour l’instant ils ont planté sur 0,25 ha avec 30 % de taux de survie.

Ils ont investi un hangar qui était inutilisé. Leur matériel est impressionnant.

Eric Holden et Will Goudy devant les essais des semis de zostères marines en milieu protégé
Will Goudy, qui s’occupe de la maturation et des semis
Eric Holden, qui corédige les rapports (et a répondu à mes questions) devant les graines ramassées quelques semaines auparavant.
Will Goudy en train de siphonner un bac pour le renouvellement de l’eau
Les bivalves qu’on trouve dans le loch. Belle biodiversité !
Le projet Seawilding intéresse le milieu universitaire : ci dessus Philip Price (à gauche), employé de Seawilding (il fait notamment les vidéos) avec trois étudiants

Conclusion

Si le loch Craignish est très différent de l’étang de Berre, le projet Seawilding est lui assez comparable à notre projet ZoRRO (et son cousin Sergent Garcia qui chez nous n’a pas vraiment commencé)… sauf qu’ils ont été BEAUCOUP plus ambitieux et ont cherché (et surtout obtenu) deux gros financements qui leur ont permis de monter une équipe (7 personnes à temps plein sur plusieurs années !) et d’acheter beaucoup de matériel.

La comparaison avec nous est d’autant plus cruelle que, en ce qui concerne les zostères marines, le potentiel de leur loch est ridicule comparé à celui de notre étang : ils peuvent espérer 80 ha alors que nous pouvons en espérer 3000, peut-être même 6000… (mais les zostères naines n’y semblent pas une concurrence)

Ils ont publié (ici) la petite check-list en 11 points pour réussir son projet de restauration écologique que nous reproduisons ci-dessous. Si on applique cette check-list à notre projet ZoRRO, nous cochons toutes les cases… sauf une : on a oublié l’étape 5, celle du « fondraising » (la recherche de financement). On devrait peut-être s’y mettre !

2 commentaires

  1. Bien, bien…
    Lors d’une visite éclair de la page que tu donnes (https://www.seawilding.org/learning-zone), j’ai trouvé cette autre page: https://www.seawilding.org/seawilding-reports, et le troisième lien (https://www.seawilding.org/_files/ugd/244d0f_29a2a32ce5cc4725aff48b70bad6dc82.pdf) mène donc au rapport que tu cherchais.
    Dés que les financements sont là, je postulerai pour un job de « chercheur de documents » ou un truc du genre… 😉

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  2. Ce soir mon regard s’est arrêté sur ta photo « 2023.08.21 11:54 », d’une photo d’épis de zostère.
    Je suppose que c’est à ça que devraient rassembler les épis à récolter — en tout cas ça correspond à mes souvenirs!
    Cette photo, les bivalves sur le mur, le site et leurs rapports… ça montre qu’ils ont une certaine approche éducative, d’ouverture… En anglais (des projets Européens) on parlait de la « dissemination ». Le but était de faire connaître le plus largement possible nos produits (rapports, outils, sites…). Je ne sais pas si la « dissémination » est utilisé exactement de la même manière en français (et je n’ai pas de dico sous la main pour vérifier)?
    Tout ce qu’ils font en termes de communication, c’est certainement plus facile quand il y un financement derrière, et — comme tu l’écris — le fait d’avoir des financement oblige probablement à rédiger des rapports. Cette posture (manière de faire) serait-elle plus britannique que français?

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