Le business (ou pas) de la restauration des herbiers marins

Dans notre économie libérale, il a été très facile de trouver les millions d’euros qui ont permis de construire des barrages hydroélectriques, mais il est très difficile de trouver les milliers d’euros qui permettraient de les équiper de passes à poissons. Il y a ce qui est rentable et ce qui ne l’est pas. Réparer la nature ne l’est pas. Pas directement en tout cas.

Restaurer la nature ne peut donc être réalisé que par du bénévolat ou grâce à de l’argent donné sans espoir de rentabilité monétaire. Cet argent pouvant venir du public ou du privé.

Il y a eu, depuis une vingtaine d’années, beaucoup d’expérience de restauration d’herbiers marins dans le monde. C’est l’air du temps… Notre projet ZoRRO de restauration de l’herbier de zostères de l’étang de Berre n’est que l’un d’entre eux. Il fonctionne actuellement en bénévolat presque pur, mais va sans doute devoir évoluer.

Cet article se propose donc de situer notre projet parmi quelques autres projets de restauration d’herbiers marins, passés ou en cours, que nous connaissons, et d’en tirer quelques conclusions.

Notre projet ZoRRO (Année 1 et 2) ou le cas extrême du bénévolat pur

Notre projet ZoRRO (ici pour le site, et ici sur ce blog) pour ses deux premières années (ZoRRO1 en 2021, ZoRRO2 en 2022) a fonctionné en bénévolat pur : le budget était quasi nul, nous n’avions pas demandé de subvention publique, le matériel (certes léger) et les déplacements n’étaient pas remboursés. Le temps humain, ce qui coûte en général le plus cher, a été gratuit, que ce soit pour le travail de terrain, la rédaction des dossiers et rapports ou la recherche de bénévoles.

Ce fonctionnement a poussé quelques participants et nous comparer à Elzéard Bouffier, le héros de la nouvelle de Giono L’homme qui plantait des arbres. Ce personnage plante, seul, pendant des années des chênes dans la Haute Provence déboisée du début du XXe siècle. Les années passent, les arbres poussent, la vie revient… et les hommes finissent par profiter de l’écosystème ainsi réparé… Il y a toutefois une différence entre le roman et notre projet : le personnage de Giono était seul, ne cherchait ni aide ni gloire et serait resté inconnu si le narrateur ne l’avait pas rencontré par hasard et n’avait raconté son histoire. ZoRRO, en revanche, cherche un maximum de bénévoles et a cherché une médiatisation (qu’il n’a guère trouvée).

À noter aussi que dans sa troisième année (ZoRRO3), le projet ZoRRO n’a plus été totalement bénévole car les deux employés de l’association 8 vies pour la Planète (qui porte le projet) ont été mis à contribution pendant l’été pour surveiller les deux installations de maturation et de conservation des graines. Le projet est néanmoins resté très largement bénévole.

Le bénévolat pur a l’avantage de la légèreté : on peut facilement modifier le projet, l’adapter sans lourdeur administrative… C’est très bien si on n’est pas trop sûr de la méthode… Mais ce type d’organisation a le désavantage de ne guère être pris au sérieux, ni par les médias, ni par les élus (qui l’ignorent d’autant plus qu’ils ne pourraient se prévaloir de les avoir aidés). De ce fait ce type d’organisation semble limiter le projet en taille. Ce choix d’organisation est en revanche assez bon pour la discrétion si elle est souhaitée. Dans le cas de ZoRRO, les transplants étant supposées fragiles, ce point a été important dans le choix du fonctionnement. Les bénévoles sont certes au courant, mais pas le grand public ni même les élus…

L’autre cas extrême : le business pur

Si de l’argent public est fléché sur un domaine particulier, des structures privées vont se monter ou se spécialiser dans ce domaine. C’est logiquement ce qui s’est passé dans notre cas, la restauration des herbiers marins (ou le génie écologique marin en général).

Pour illustrer ce second cas extrême, on peut citer l’expérience de transplantation de zostères (marines et naines) dans l’étang effectuée par le GIPREB en 2009 (voir ici, ou là). Dans ce cas, il n’a été fait appel à aucun bénévole. Le donneur d’ordre était le GIPREB et le projet a été traité en direct par le GIPREB mais aussi partiellement sous-traité à son bureau d’étude spécialisé en génie écologique : Morancy Conseil Environnement. Nous ne connaissons pas le montant du contrat, mais dans le contrat d’étang 2013-2018 (révisé…), l’action A2-26 « Expérimentation d’accompagnement à la restauration des herbiers de zostères » était chiffrée à 150 000€. À noter qu’au bout de 2 ans le taux de survie était estimé à 10 %. En ce qui concerne les zostères marines, la tache qui existait encore en 2017 à Bouquet et l’« herbier mixte » qui existait encore à la pointe de Berre en 2017 étaient clairement issues de cette expérimentation. 2 taches ont survécu à l’été 2018 (à la pointe de Berre) et une au moins survit encore.

Tache de zostères marines issues de la Pointe de Berre (cernée par les zostères naines),
selon toute vraisemblance issue des transplantations de 2009 (photo de 2022)

Un autre cas emblématique est celui de la société SM2 (« Solutions Marines 2 »). Cette société qui n’existe plus a été active dans les années 2010. Elle a eu un (gros) contrat avec la municipalité de la Grande Motte (cofinancé par l’agence de bassin) pour restaurer des herbiers de posidonies (ainsi que des herbiers des deux types de zostères et de cymodocées) par des méthodes par graines. On peut encore trouver trace de ce projet, appelé Graines de mer, sur Internet, par exemple ici ou .

En ce qui concerne les posidonies, ce projet est cité comme exemple de ce qu’il ne faut pas faire dans la publication scientifique ci-dessous, qui a largement été à l’origine du présent article. Cette publication parle de 490 000 € de budget pour le projet. Ce qui lui est reproché, pour sa partie posidonies, est qu’il se situait dans une région où les posidonies sont rares (la côte sableuse à l’ouest du Rhône) et où elles ne fleurissent pas. Les graines ont ainsi dû être récoltées ailleurs. Le projet y est présenté comme un échec total, sans publication même informelle, avec une large responsabilité des administrations qui, par « manque de professionnalisme » (!), ont autorisé et financé le projet (dans ce cas, au moins l’agence de l’eau et la municipalité de la Grande Motte). Un discours rare dans une publication scientifique…

Le projet graines de mer est présenté ci-dessous au milieu de quelques autres projets de génie écologique marin.

Nous ne savons pas si notre projet ZoRRO sera une réussite ou un échec au bout des 10 ans que nous nous sommes donnés (on est quand même optimistes après la réussite de ZoRRO2 sur la côte rocheuse) mais c’est sûr que le bénévolat limite la perte d’argent public. Même si on s’éloigne un peu du bénévolat pur, on ne coûtera jamais 490 000 €…

Sur les herbiers de posidonies, on peut aussi citer le projet REPIC porté par la (célèbre) société Andromède Océanologie et financé par l’agence de l’eau et le mécène NAOS, et plus récemment deux fondations. Le budget n’est pas connu.

(business toujours) Le volet vert de gros projets d’ingénierie…

Évidemment, s’il faut « verdir » un projet qui ne l’est pas assez, les gros cabinets d’ingénierie n’hésitent pas à faire appel aux petites sociétés du type précédent, qui acceptent et dont elles deviennent la caution verte. La société Van Oord est une grosse société d’ingénierie et de construction marine. Elle semble posséder ses propres bateaux, ce qui la rend capable, par exemple, d’aller déposer des éoliennes off-shore sur site (ici par ex en Bretagne). Dans un projet de protection de la côte d’une station balnéaire roumaine (Eforie) contre l’érosion, cette société a proposé, en plus de casser les digues existantes, d’en créer de (supposées) meilleures et de pomper du sable, d’intégrer un volet de plantation de zostères marines. Cette société a pour cela fait appel à la société The Fieldwork Company et l’université de Groningen, deux acteurs dont j’ai parlé dans cet article précédent et dans cet autre, sans être vraiment convaincu qu’ils sachent faire… Cette page de leur site propose deux vidéos qui montre l’une le projet général et l’autre la technologie employée pour l’installation des zostères marines, et dont je ne parierais pas bien cher sur le succès, mais je peux me tromper… On n’est pas ici dans la restauration écologique, mais plutôt dans l’ingénierie écologique : il n’est pas dit qu’un herbier existait là mais les nouvelles digues sont censées le rendre possible et il est censé aider à les protéger contre l’érosion. On verra si ça marche… mais à ce stade je conclus surtout que les Néerlandais sont de bons commerçants…

Entre les deux : les structures associatives employant des permanents, souvent des chercheurs mais aussi souvent des bénévoles

Les cas mixtes sont sans doute les plus intéressants pour notre réflexion. Ils sont le plus souvent issus d’associations qui emploient plus ou moins de permanents et font plus ou moins appel au bénévolat.

Le GIS Posidonie a la forme d’une association loi de 1901. En 2022 il avait 7 permanents et 4 CDD. Du fait de son objet (et de son histoire), ce GIS emploie des scientifiques, qui peuvent proposer des articles à des revues scientifiques. Les contrats qu’il décroche sont globalement des contrats d’inventaire et de cartographie d’espèces. Sur l’étang de Berre, le GIS Posidonie participe notamment au suivi des macrophytes. Sans doute pour ce suivi, le GIPREB nous a demandé en mai 2023 les coordonnées des réintroductions réussies de ZoRRO. Nous leur avons transmis dix jours plus tard les coordonnées des taches de la côte rocheuse d’Istres. Aucune nouvelle depuis. On aura, peut-être, une bonne surprise dans le prochain rapport annuel de suivi du GIPREB.

Le GIS Posidonie a tout récemment monté un projet de restauration d’herbiers : le projet REPOSEED. Ce projet concerne les posidonies et a été monté suite à la fructification présentée comme exceptionnelle de l’année 2022. Pour ce projet, le GIS Posidonie n’a pas pas vraiment fait appel au bénévolat, mais il se propose de le faire durant les années à venir selon les résultats et l’opportunité éventuelle (la fructification des posidonies étant très irrégulière selon les années). Le projet semble avoir eu un budget de 30 000 €, financé à 50 % par la ville de Marseille et à 50 % par la Fondation de la Mer, selon cette source.

À Arcachon, où les zostères (naines et marines) régressent, le Parc Marin a néanmoins lancé une expérience de transplantation de zostères naines. Il s’est fait aider de l’université de Groningen et de l’entreprise The Fieldwork Company (voir infra pour leur travail avec Van Oort), mais aussi de bénévoles selon cet article de leur site.

Mais, c’est au Royaume-Uni que se trouvent, me semble-t-il, les cas les plus intéressants pour nous :

Le Project Seagrass est une structure née au sein de l’université de Swansea au Pays de Galles. J’en ai parlé dans cet article précédent, et ils étaient à l’origine du colloque dont j’ai parlé dans cet autre article sur le génome de la zostère marine.
Le Project Seagrass semble avoir été créé comme une « charity » (une organisation caritative) par des chercheurs qui avaient travaillé sur des programmes de recherche de réintroduction de zostères marines. Manifestement ils se sont sentis suffisamment forts et ont pensé que le problème était si urgent partout en Europe et dans le monde, qu’ils ont pensé qu’une structure internationale (c’est au moins l’ambition…) aurait sa pertinence.
Je cite le Project Seagrass parce que je le crois emblématique. Les chercheurs sont de moins en moins embauchés par les universités. Ils sont souvent précaires. Dans beaucoup de domaines mais particulièrement en biologie, ils doivent aller chercher les contrats, répondre à des appels à projets, ou les construire pour convaincre des financeurs. Cette position les pousse facilement à monter leur structure si ils pensent avoir trouvé un filon porteur. Les structures créées sont souvent des charities au Royaume-Uni ou des associations à but non lucratif en France, afin de pouvoir recevoir des dons (leur objet n’étant pas rentable, rappelons-le). Ainsi essayent-ils de pérenniser leur emploi tout en réalisant des choses qui leur semblent justes…
Le Project Seagrass participe à des projets concrets où le WWF peut intervenir, qui a fait la vidéo ci-dessous et donne le chiffre de 2000 participants pour le projet en question, supposés bénévoles en large partie. On est bien entre le business et le bénévolat. Le pragmatisme anglais…

Je n’en ai pas la certitude, mais je pense que le Project Seagrass fait partie, avec les néerlandais de l’université de Groningen, du « Consortium Seagrass », un groupe de chercheurs européens venu sur l’étang de Berre et qui travaillent manifestement sur un programme européen intégrant notre étang (voir l’article du GIPREB à ce sujet). L’article dit que le GIPREB leur a présenté ses projets de restauration d’herbiers (dont nous ne savons rien).
L’avenir dira s’ils trouvent du financement, notamment français, pour ce projet international et si l’étang de Berre y sera effectivement un terrain de travail. Tous les projets de réintroduction des zostères marines dans l’étang nous semblent les bienvenus. Certains coûtent plus cher que d’autres…

Le projet Seawilding est, comme ZoRRO, issu de riverains d’une masse d’eau qu’ils ont souhaité restaurer. Mais la comparaison s’arrête là car il semble que la première chose que le groupe ait faite a été de chercher du financement, d’abord pour un projet de réintroduction d’huîtres plates, puis pour un projet de réintroduction de zostères marines. Ce projet a fait l’objet de cet article précédent.
Une chose étonnante pour moi est qu’ils aient trouvé ces financements (le premier par la National Lottery, le second par l’agence NatureScot) ! Il y a des gens qui savent répondre à des appels à projets…
Sept personnes ont ainsi été embauchées, des riverains pour l’essentiel, mais il est clair que le financement n’a pu être obtenu que sous la réserve d’un travail scientifique rigoureux. Ils ont d’ailleurs beaucoup de relations avec des universités, ce qui a constitué un autre motif d’étonnement pour nous, qui avons très peu de relations avec des scientifiques (à part M. Orth du VIMS ou M. Verlaque d’AMU).
Le troisième motif d’étonnement est que cette structure met en ligne l’essentiel de ce qu’elle fait. Elle travaille en open source pourrait on dire. C’est aussi l’esprit de ZoRRO, mais il faut reconnaître que les sociétés privées ne s’amusent guère à ça…
Le projet emploie les riverains bénévoles à certaines dates clés. Il est clairement resté ouvert au bénévolat, même si 90 % des heures semblent faites par les employés.

En Cornouailles, c’est le Cornwall Wildlife Trust (une fondation de protection de la nature comme il en existe partout au royaume-Uni, qui vit essentiellement des dons) qui a initié un programme de restauration d’herbiers de zostères marines, à l’aide d’un sponsor (Seasalt). Logiquement, vu le fonctionnement (et le réseau) des Wildlife Trusts, les bénévoles sont mis à contribution.

On a plus ou moins la même chose dans le Solent ou le Yorkshire, et dans bien d’autres estuaires britannique. Plymouth où Natural England (l’agence nationale) s’implique directement (projet Save our Seabeds), semble un cas particulier « top-down ».

Conclusion :

Le bénévolat c’est bien, pour la légèreté d’organisation, pour l’engagement citoyen et… pour les budgets publics, mais il est difficile, et peut-être impossible, de faire reposer dessus une action à long terme et dont l’ampleur dépasse l’échelle locale. De plus ça peut éventuellement déplaire à des structures qui en ont fait leur gagne-pain, voire des élus qui ne peuvent aider (sauf à encourager un bénévolat dont ils ne seraient pas à l’origine, ce qui est rare) et… se glorifier d’avoir aidé.

La restauration écologique n’est pas rentable et ne pourra jamais se financer auprès des banques. Elle peut dépendre de financements publics, ce en quoi elle n’est pas différente d’une entreprise de travaux publics, mais peut aussi viser les dons des particuliers ou le mécénat, tant la protection de l’environnement est montée dans les préoccupations citoyennes.

De ce fait, si des sociétés commerciales vivent sur ce créneau, ou l’intègrent, avec toutes les dérives possibles liées au capitalisme, les structures associatives, employant souvent des scientifiques, semblent plus fréquentes et plus adaptées. Elles travaillent parfois en Source Ouverte, en publiant toutes leurs méthodes et en invitant à les copier, mais pas toujours.

En ce qui concerne notre projet ZoRRO,

  • si le bénévolat est bien adapté à la méthode par boutures
  • il n’a pas semblé adapté à la masse de travail qu’a représenté en 2023 la méthode par graines, avec toute la partie maturation-conservation des graines.

Ce point sera à la base de notre définition de la campagne la campagne ZoRRO4 et de la recherche de financement éventuellement liée, qui le ferait changer d’échelle, sinon d’esprit.

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